Les accises, cet impôt indirect inégal en Europe
Produire ou vendre des boissons alcoolisées s’accompagne souvent de questions sur les accises dont le montant varie selon les États membres de l’UE malgré la libre circulation des marchandises. Tour d’horizon.
Les droits d’accise (DA) constituent des impôts indirects frappant la consommation ou l’utilisation de certaines catégories de produits définis par la Directive 2008/118/CE du Conseil européen du 16 décembre 2008 : les huiles minérales, les tabacs manufacturés et les boissons alcoolisées. Que ceux-ci soient fabriqués à l’intérieur du pays, qu’ils proviennent d’un Etat membre de l’Union européenne ou qu’ils soient importés d’un pays tiers.
La catégorie des boissons alcoolisées comprend les sous-catégories “bière”, “vin”, “boissons fermentées autres que la bière et que le vin” (le cidre par exemple) ainsi que les produits intermédiaires (les vins enrichis en alcool, vins doux, etc.) et “alcool éthylique”, c’est-à-dire les boissons spiritueuses.
Ce droit d’accise varie en fonction des types de boissons et selon le degré d’alcool de celles-ci, elle est due soit au moment de la production de ces produits, soit au moment de leur importation.
Cette Directive a été transposée en droit belge et publiée au Moniteur sous le nom de “Loi du 22 décembre 2009 relative au régime général d’accise”. Elle est entrée en vigueur le 1er avril 2010.
Il ne s’agit pas de la première réglementation en la matière, les premiers textes remontent aux années 1930. La dernière mise à jour des taux d’accises date de 2015 et si le Gouvernement fédéral misait alors sur des rentrées fiscales supplémentaires, c’est plutôt l’effet contraire qui s’est produit avec des rentrées supplémentaires bien en-deçà de celles espérées, sans parler de la baisse des recettes de la TVA qui s’ajoute aux accises. En 2020, lors d’une interview publiée sur le site de la Fédération de l’industrie alimentaire belge, le directeur de Vinum&Spiritus estimait même que le Gouvernement avait perdu quelque 126 millions d’euros en 4 ans.
Cette diminution de recettes ne signifie pas pour autant que le Belge consomme moins d’alcool, mais qu’il a reporté ses achats sur les pays transfrontaliers.
En mai 2021, toujours sur le site de la FEVIA, Carole Dembour, économiste, analyse toutefois que « les achats transfrontaliers ont suivi de manière inversée les vagues de la pandémie, au gré des restrictions de voyage. Ainsi, suite à la première vague, les achats transfrontaliers ont reculé de 120 millions et la deuxième vague, entamée en octobre de l’année passée (2020 ici – ndlr) a provoqué une baisse de 130 millions €. Soit un total de 250 millions € d’achats d’aliments et de boissons qui au lieu de se faire dans les pays limitrophes se sont faits en Belgique. Tout profit pour l’activité économique dans notre pays et pour les recettes fiscales de l’Etat. » Mais ne crions pas victoire trop vite, les achats transfrontaliers ont repris dès l’ouverture des frontières…
D’un pays à l’autre
La directive 92/84/CEE du Conseil européen a fixé des taux minimaux d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques, dans les catégories suivantes : bière, vin, boissons fermentées autres que le vin et la bière (cidre, poiré, etc.), produit intermédiaire (porto, sherry, etc.) et alcool éthylique (boissons spiritueuses).
Chaque État membre peut fixer librement des taux d’accises différents, pour autant qu’ils soient supérieurs aux taux minimaux. La directive actuellement en vigueur, directive 2008/118/CE du Conseil, a été révisée et sera remplacée par la directive (UE) 2020/262 à compter du 13 février 2023.
Comme l’indique le site de la Commission européenne, « cette directive refondue contient un certain nombre de mesures visant à rationaliser et à simplifier les processus en ce qui concerne les interactions entre importations et exportations et les mouvements intra-UE des produits soumis à accise.
Elle vise à rapprocher les procédures en matière d’accise et en matière de douanes au niveau de l’UE de manière à améliorer la libre circulation des produits soumis à accise mis à la consommation dans le marché unique, tout en veillant à ce que la taxe correcte soit perçue par les États membres. »
Quoi qu’il en soit, les accises sur les vins tranquilles sont inexistantes dans 14 pays de l’Union européenne dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, la Slovénie ou l’Autriche. En France, elles ne sont que de 0,038 €/litre de vin, soit 20 fois moindres que chez nous (0,75€/l.)
Les montants les plus élevés pour les vins tranquilles sont au Royaume-Uni (3,39 €) et en Finlande (3,97€), la palme revenant à l’Irlande avec une accise au litre de 4,24 €.
Pour les vins effervescents, la situation est fort différente avec des accises à l’hectolitre de 256€ en Belgique contre 88,3€ au Luxembourg ou… 9,44€ en France.
Cette taxe est donc généralement proche ou égale à zéro dans les grands pays producteurs de vin tandis que les plus élevées se retrouvent dans les pays où la production est la moins développée. C’est également dans les premiers que les lobbys sont les plus influents…
Qui paie quoi ?
Comme le précise la porte-parole du SPF Finances que nous avons interrogée à ce sujet, « la personne redevable des droits d’accise est celle qui met les produits soumis à accise à la consommation, c’est-à-dire qui les fait sortir du régime de suspension de droits (en règle générale, il s’agira du producteur).
La production de produits soumis à accise doit impérativement s’effectuer en régime de suspension de droits. Le producteur doit donc être détenteur d’une autorisation « entrepositaire agréé », produire dans son « entrepôt fiscal », tenir une comptabilité matières, constituer les garanties nécessaires et se prêter à tout contrôle. »
Les producteurs reconnus comme « petits producteurs de vin » peuvent cependant bénéficier de certaines simplifications et de réductions jusqu’à 50%, un sujet que suit de près la Confédération européenne des Vignerons indépendants (CEVI) dont font partie l’AVW et son équivalent néerlandophone.
« Aux fins de l’application des taux réduits, explique Céline Meyer, conseillère à la CEVI, on entend par “petit producteur de vin indépendant” : un producteur de vin qui est juridiquement et économiquement indépendant de tout autre producteur de vin, qui utilise des installations physiquement distinctes de celles de tout autre producteur de vin et qui ne produit pas sous licence. Toutefois, lorsque deux ou plusieurs petits producteurs de vin coopèrent et que leur production annuelle additionnée ne dépasse pas 1.000 hectolitres, ces producteurs de vin peuvent être traités comme un seul petit producteur de vin indépendant. »
Le règlement d’application de la Commission européenne 2021/2266 détaille toute la procédure pour être reconnu en tant que tel.
Quelles sont les obligations des vignerons belges ?
Pour produire du vin, chaque viticulteur a besoin d’être « opérateur enregistré » et « entrepositaire agréé », sauf dans le cas où le vin est produit par un particulier et consommé par le producteur, les membres de sa famille ou ses invités et à condition qu’il n’y ait pas de vente (article 10 de la loi du 7 janvier 1998 concernant la structure et les taux des droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcoolisées).
La demande doit être introduite auprès du service « Autorisations » de la direction régionale des douanes et accises du lieu de production. Une fois celle-ci obtenue, le paiement d’une caution (minimum 500 €) est demandé.
Comme il a déjà été expliqué, l’accise est un droit à payer sur des marchandises lorsqu’elles sont mises en consommation dans le pays dans lequel les accises prévalent. C’est donc soit le producteur qui règle cette taxe lors de la mise au marché, soit l’importateur ou son intermédiaire.
« Au niveau du Droit d’accise (DA) en Belgique, explique Christophe Heynen MW, gérant de GustoWorld à Liège, pour pouvoir traiter de la marchandise soumise au droit d’accise et l’importer, il faut être opérateur enregistré. Ce qui se fait via un document au niveau des Douanes et Accises belges qui savent ainsi que cette personne a une activité de mise en consommation. A noter que l’on ne peut pas être opérateur enregistré en ayant un casier judicaire non vierge…
Une fois enregistré, l’opérateur reçoit la visite du responsable du contrôle des accises, qui inspecte les installations et estime la caution en fonction des volumes prévus suivant la demande qui a été faite pour devenir entrepositaire agréé (ce qui permet de décaler le paiement des accises à la semaine après la “mise en consommation”, comprenez la vente sur le territoire/sortie de cet entrepôt).
La question de l’embouteillage est également importante, car on ne peut pas transporter du vin en Belgique sans avoir réglé les droits depuis le lieu de réception. Celui qui veut faire embouteiller ses vins dans un pays voisin, doit disposer d’un document particulier (DAE) qui couvre le transport et la suspension de l’accise entre deux opérateurs enregistrés A et B. Les douanes sont attentives sur les pertes de liquide, c’est même ce qu’ils regardent en premier, pour éviter la fraude. Quelques pourcents de vin qui restent dans les pompes ou les tuyaux sont acceptés, mais pas plus. »
Une fois la vendange terminée, le viticulteur stocke ses vins en vrac dans ses cuves et doit en déclarer le nombre d’hectolitres. S’il n’est pas enregistré (et n’a donc pas de caution), il doit payer l’accise immédiatement. Si pour une raison ou une autre, il décide de détruire une partie des moûts, cela ne peut se faire sans preuve de destruction. La distillation est également hautement contrôlée.
Chaque fois qu’un vin sorti de l’entrepôt agréé pour être mis en consommation, une déclaration doit être faite et les accises payées la semaine qui suit, en fonction des quantités. Ce document s’intitule “AC4” et doit être rempli sur le site des douanes “PLDA”. Ce paiement est prélevé sur un compte qui doit être alimenté avant la mise en consommation.
Une fois les marchandises dans un entrepôt fiscal sous régime de suspension de droits, elles peuvent y rester aussi longtemps que souhaité.
Lorsque les marchandises sont envoyées sous régime de suspension de droits vers un client belge ou vers un client dans un autre État membre de l’UE, elles doivent faire l’objet d’un document administratif électronique (e-AD) dans EMCS (European Mouvement Control System).
Si la marchandise stockée est expédiée vers pays hors UE, il faut également remplir un document électronique de sortie ou d’exportation. Et les producteurs qui vendent en direct aux consommateurs privés ou à des petits opérateurs, doivent s’acquitter eux-mêmes des droits avant de vendre le produit.
Enfin, comme déjà évoqué, d’autres paramètres entrent en ligne de compte, comme le taux d’alcool dans les vins tranquilles ou la pression des vins effervescents, car en dessous d’un certain niveau (±3-3,5 bars), c’est le taux de la catégorie « vins tranquilles » qui est appliqué. Idem pour un vin avec capsule, par exemple un pétillant naturel.
Enfin, à ces droits d’accise s’ajoutent une cotisation d’emballage (9,86 euros/hl) sur tous types de produits ainsi que la taxe de recyclage de Fost+ et DE Val-I-Pac pour les emballages.
Et si le producteur ou l’opérateur vend des produits certifiés bio, il doit aussi se faire enregistrer afin de pouvoir prétendre à la vente de ces produits…
Plus d’infos sur le site du SPF Finances.
Marc Vanel, juin 2022
Merci à Christophe Heynen MW (Gusto World), Florence Angelici (SPF Finances), Manuel Wilmot (IFAPME), Céline Meyer (CEVI) pour leur contribution à cet article.
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