« On ne peut pas tricher avec la nature, ni avec le vin » in « L’Echo »

 

Mathieu Dumont de Chassart: « On ne peut pas tricher avec la nature, ni avec le vin »

©Tim Dirven
par

Un quatuor de trentenaires a repris le domaine de Mellemont, presque aussi âgé qu’eux. Qu’est-ce qui a poussé ces jeunes entrepreneurs à se lancer dans le vin en Belgique?

Ils étaient à peine nés, ces quatre trentenaires, lorsque Pierre Rion, Étienne Rigo et François Vercheval ont planté leurs premiers pieds de vigne, et se sont lancés dans ce pari un peu fou de produire du vin, en Belgique, dans les plaines du Brabant wallon, à un jet de pierre de Perwez. En 1993, la viticulture belge n’était pas encore ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Et il fallait être un peu barge pour se lancer dans une telle aventure.

Et sans doute, lorsqu’il s’est agi pour les trois pères fondateurs du domaine de passer la main, se sont-ils un peu reconnus dans ces quatre candidats, qui affichaient le même enthousiasme à la limite de l’insouciance. Passé le cap de la soixantaine, Rion, Rigo et Vercheval souhaitaient lever le pied et céder ce qu’ils avaient créé. « J’ai vu dans la presse que le domaine était à vendre. La viticulture, ça a toujours été un rêve pour moi, comme pour Antoine de Thibault. Cette opportunité, c’était pour nous! », se souvient Pierre-Alexandre Péters.

Sur un coup de tête

Sur un coup de tête, ils contactent les vendeurs. Pour étayer leur dossier, ils s’adjoignent deux de leurs amis, Marcus Humblet, fils du brasseur de la Bertinchamps et Mathieu Dumont de Chassart. Ces deux-là sont par ailleurs alliés par leurs épouses.

« Cette reconversion exige énormément d’humilité de notre part! Ça fait du bien de s’en rendre compte. »

MATHIEU DUMONT DE CHASSART

 

« Nous étions tous les quatre plutôt dans les services. Ce retour à la terre avait quelque chose de très concret, auquel s’ajoute la magie du vin« , précise Péters, dont les beaux-parents possèdent des vignes en Italie.

Rien ne prédestinait ces jeunes gens de bonnes familles à devenir viticulteurs, fût-ce à temps partiel. Pierre-Alexandre Péters était manager chez Deloitte, avant de démissionner pour se lancer dans une nouvelle aventure professionnelle. Mathieu Dumont de Chassart a fait l’essentiel de sa carrière dans un bureau d’études en santé publique, dans les pays en voie de développement. Marcus Humblet s’occupe des opérations commerciales au sein de la brasserie familiale. Et Antoine de Thibault est juriste-fiscaliste à la Banque Delen. Hormis Humblet, aucun n’avait de lien avec le monde de l’agroalimentaire, et a fortiori avec celui du vin.

Passion

« C’est vraiment une affaire de passion », affirme Dumont de Chassart. Une passion suffisante pour se lancer totalement dans l’aventure. À tel point que Mathieu Dumont de Chassart a quitté son boulot dans la coopération pour se consacrer au moins trois jours par semaine à la gestion opérationnelle du domaine, les trois autres venant lui prêter main-forte à raison d’un jour par semaine.

3,8
HECTARES
Le domaine compte 3,8 ha de vignes, soit 11.000 pieds de müller-thurgau essentiellement.

 

Mais une passion qui demande aussi des compétences réelles. « On ne s’improvise pas viticulteurs. Cela s’apprend sur le long terme », estime Dumont de Chassart, qui entame une formation IFApme, pour acquérir les bases du métier. « Le trio fondateur répète toujours qu’en trente ans, ils n’ont fait QUE trente récoltes. C’est beaucoup sur la durée, mais c’est relativement peu sur l’expérience. »

Question de se faire la main et de prendre ses marques, le quatuor pourra compter sur l’aide des « anciens » qui les accompagneront pendant un an ou deux. « Et nous pourrons aussi compter sur l’expérience d’autres vignobles belges. C’est un tout petit monde, où les échanges sont nombreux », note encore Dumont de Chassart.

20.000 bouteilles

« Ce retour à la terre avait quelque chose de très concret, auquel s’ajoute la magie du vin. »

PIERRE-ALEXANDRE PÉTERS

 

Dans sa configuration actuelle, le domaine de Mellemont compte 3,8 ha de vignes. De quoi produire 20.000 bouteilles dans une année normale, sauf accidents de parcours. En 2020, un champignon a détruit la moitié de la récolte, mais en 2018, les conditions exceptionnelles ont permis de produire 38.000 bouteilles. « C’est une activité qui dépend très largement de la nature, de la météo. Nous pouvons juste faire du mieux que l’on peut. On ne peut pas tricher avec la nature, ni avec le vin », reconnaît Péters. « Si on fait bien, la nature le rend, et la collaboration se passe bien. »

Mathieu Dumont de Chassart et Pierre-Alexandre Péters: « Il y a dans cette reconversion une humilité qui fait du bien. » ©Tim Dirven

 

La nature, parlons-en. Le vignoble a été bien protégé par son implantation brabançonne lors des fortes gelées de début avril, alors que d’autres viticulteurs ont dû batailler des nuits entières pour protéger les précieux bourgeons. Penchés sur un pied de vigne des Vergers, Mathieu Dumont de Chassart et Pierre-Alexandre Péters auscultent le développement de la plante, relativement tardif cette année. « On reste très petit face à la nature. Et cette reconversion exige énormément d’humilité de notre part! Ça fait du bien de s’en rendre compte », poursuit Dumont de Chassart.

Projets

« L’idée est de créer un petit écosystème autour de la vigne, avec un restaurant, des salles de réception et de l’œnotourisme. »

MATHIEU DUMONT DE CHASSART 

 

Toujours en phase d’apprentissage, donc, le quatuor a aussi des projets plein la tête. Faire évoluer le domaine vers la biodynamienotamment, plutôt en vogue, mais très exigeante. Accroître la surface, aussi, au rythme de 1 à 2 ha tous les deux ans, si les conditions le permettent, pour approcher les 8 à 10 ha cultivés. Et puis sans doute faudra-t-il envisager de moderniser et de déplacer les chais. « L’idée est de créer un petit écosystème autour de la vigne, avec un restaurant, des salles de réception et de l’œnotourisme. »

Commercialement également, les jeunes vignerons ont des idées: rationaliser sans doute la production qui compte aujourd’hui, trois mousseux, trois blancs, un rosé… Trouver de nouveaux canaux de distribution pour élargir sa zone de chalandise. « Il faut trouver le bon positionnement, dans une gamme de vins belges qui montent en qualité et en réputation. Il faut jouer le jeu de cette communauté, mais nous voulons rester accessibles! », affirme Péters.