Comment les vignobles wallons financent leur développement
Du Trends-Tendances du 11/02/2021
17/02/21 à 08:35
Soixante-et-un vignobles ont été créés en Wallonie au cours des cinq dernières années. Au dernier décompte, on approche les 300 hectares de vignes pour 200 domaines. Cet engouement, il faut le financer et, aussi étrange que cela puisse paraître, cela coûte plus cher que chez nos voisins. Comment nos vignerons s’y prennent-ils s’ils n’ont pas de fortune personnelle?
Dans le monde du vin, il y a un vieil adage qui dit que si un vigneron veut devenir millionnaire, il doit commencer avec 10 millions et il finira millionnaire… C’est encore plus vrai en Wallonie. Les sommes investies sont importantes, l’amortissement se compte en vingtaines d’années et il ne faut pas trop regarder à l’éventuel rendement financier. Bien sûr, il y a des exceptions. Mais n’est pas Ruffus qui veut. Pour bien mesurer l’ampleur de la tâche financière, il faut compter 2,5 millions d’euros pour un domaine de 10 hectares, terre, matériel et fonds de roulement compris.
« Pour ce prix-là, il est tout à fait possible de s’offrir un vignoble productif dans une des belles appellations de Loire, voire un cru classé dans d’autres régions, explique Christophe Heynen, Master of Wine et patron de l’importateur de vins Gustoworld. Clairement, c’est beaucoup moins risqué d’aller acheter un domaine à l’étranger. Dernièrement, j’ai vu des domaines bordelais partir à des prix proches des 12.000 euros l’hectare planté. »
35.000 euros
Prix moyen de l’hectare de terres agricoles en Wallonie, en hausse de plus de 40% depuis 2015.
Des terres agricoles très chères
En 2019, le prix moyen d’un hectare de terres agricoles en Belgique s’élevait, lui, à 46.778 euros. Un prix qui a grimpé de 30% depuis 2015. La hausse est encore plus forte en Wallonie (+41,8%) avec un prix moyen proche des 35.000 euros. Soit quasiment trois fois le prix bordelais évoqué par Christophe Heynen. Le bail à ferme est beaucoup plus raisonnable avec un prix moyen de 304 euros par an et par hectare. Mais il n’est pas sans risque. En France, par exemple, des terres qui allaient passer en grand cru classé ont ainsi été reprises par leur propriétaire au grand dam du vigneron… « Le terrain coûte horriblement cher, poursuit Christophe Heynen. Le prix a même tendance à encore monter quand on évoque un projet viticole. La viticulture n’a pas besoin d’une terre arable comme en Hesbaye. A priori donc, la valeur du terrain devrait être plus faible. Mais nous sommes victimes de l’engouement pour le vin wallon. J’ai vu partir des parcelles à 70.000 euros l’hectare. »
Pour bien mesurer l’ampleur de la tâche financière, il faut compter 2,5 millions d’euros pour un domaine de 10 hectares, terre, matériel et fonds de roulement compris.
Ce coût explique pourquoi le prix des bouteilles wallonnes est si élevé. Mais il reflète la hauteur de l’investissement consenti. Le souci, c’est qu’il n’est pas toujours accompagné d’une qualité irréprochable. Même si, évidemment, nos vignerons font d’énormes progrès. « Nous avons eu beaucoup de passionnés en Wallonie, poursuit Christophe Heynen. Ils ont souvent appris en faisant des erreurs au départ de connaissances empiriques. Mais la professionnalisation est en marche. La hauteur des investissements à consentir explique pourquoi la voie de la qualité et du haut de gamme est la seule possible. Elle explique aussi pourquoi nous sommes spécialisés dans les bulles. Elles permettent d’atteindre plus vite la rentabilité. Le prix de revient est quasi équivalent au vin tranquille mais le prix de vente est, lui, nettement plus élevé. Sans compter un rendement plus important à l’hectare. »
Bienvenue au Club!
Comment donc développer un domaine si l’on ne dispose pas d’une fortune personnelle? Les financements participatifs et alternatifs ont évidemment la cote. Le plus bel exemple wallon se situe à Saintes, dans le Brabant wallon. Dimitri et Sophie Wautier y ont installé leur domaine W sur les terres familiales. Des terres et une ferme en indivision qu’il a fallu racheter au prix du marché mais sans réelle pression. Aujourd’hui, le couple dispose de huit hectares conduits en bio et en biodynamie et plantés des trois cépages champenois: chardonnay, pinot meunier et pinot noir. Le couple a financièrement bien mené sa barque pour développer son projet de vie.
« Quand nous avons commencé il y a 10 ans, nous avions 250.000 euros d’économie, explique Dimitri. Dans un premier temps, nous avons cherché des associés. Nous avons constitué des parts de 500 euros à concurrence de 49% du capital. En deux mois, avec nos économies, nous avons atteint les 500.000 euros. Depuis, nous avons réalisé une deuxième augmentation de capital à 850 euros la part. Nous avons levé 200.000 euros supplémentaires sans perdre la majorité et sans rajouter de l’argent grâce au principe des parts bénéficiaires attribuées via un apport en industrie. A faire une seule fois donc. »
Sensible à l’aspect coopérative mais désireux de ne pas perdre le contrôle, le couple va avoir une idée de génie: le Club W. Moyennant le paiement d’un droit d’entrée unique (de 300 à 3.600 euros aujourd’hui), le membre se voit garantir, sur 10 ans, un nombre défini de bouteilles, l’accès à une multitude d’activités et de soirées et une priorité d’achat pour d’autres bouteilles. Ce n’est pas un succès mais une folie! Aujourd’hui, 700 personnes sont membres avec un droit d’entrée moyen de 1.000 euros. « Ces 700.000 euros, ce fut de la trésorerie pour les années difficiles car rien n’était à vendre, poursuit Dimitri. Nous avons pu acheter un matériel de pointe et nous offrir une main-d’oeuvre de top niveau. Le Club W, c’est un crowdfunding très long. Il nous a permis de viser le très haut de gamme sans nous presser puisque le financement était là. Ce système a intrigué les banques qui sont venues nous trouver. Comment un vignoble débutant pouvait-il avoir ses trois premiers exercices à l’équilibre sans rien vendre? Nous avons contracté des prêts pour améliorer l’accueil, les salons, le hall de réception, etc. Pour un montant de 700.000 euros. Nous avons donc levé 2,1 millions parfaitement divisés en trois parts égales. Et sans nous octroyer le moindre salaire… »
Au mois de décembre dernier, le Domaine W a lâché ses 2.500 premières bouteilles. La qualité était au rendez-vous et tout est parti. Le domaine a généré 300.000 euros de rentrées en 2020. Facile d’imaginer la suite quand la production passera à 10.000 bouteilles (vendange 2019 – vente 2021) puis 20.000 bouteilles (vendange 2020 – vente 2022). Ces rentrées vont permettre au couple d’enclencher la phase suivante: une deuxième salle de réception et une cave plus grande pour autoriser la mise en place de cuvées spéciales à vieillissement plus long.
Emphytéose et coup de pouce
Financier de formation, Vincent De Busscher cherche depuis 2013 à établir son propre vignoble en Belgique. Passionné de bulles, il ne pouvait que s’installer dans la région montoise, non loin de Ruffus et de Chant d’Eole, où le terroir calcareux et marneux appartient au bassin parisien, soit le même qu’en Champagne. Aujourd’hui, le domaine du Mont des Anges est devenu réalité et commence à produire des bouteilles. Financièrement, Vincent De Busscher n’a pas fait comme tout le monde. S’il propose, comme le domaine W, une formule de packs (la deuxième campagne vient de commencer et proposera des offres de 500 à 5.000 euros) moyennant une garantie de recevoir des bouteilles et de participer à des activités, il ne possède pas le moindre hectare de terre.
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« Nous avons conclu un bail emphytéotique avec les propriétaires de nos 12 premiers hectares, explique-t-il. Nous payons chaque année un canon emphytéotique indexé qui, grosso modo, vaut quatre ou cinq fois le paiement annuel d’un bail à ferme. Nous visons trois ou quatre hectares supplémentaires mais ceux-là, nous allons les acheter. Enfin, si nous y arrivons! » Nous, c’est Vincent De Busscher et Laurianne Lejour, dont la famille exploite le Domaine Potié à Condé-sur-Marne en Champagne. Ils sont majoritaires dans la société qui compte deux associés supplémentaires. Outre des subsides et des lignes de leasing auprès de banques locales qui permettent au domaine de ne payer que pour ce qu’il utilise, notamment au niveau du matériel, le Mont des Anges a levé 185.000 euros à la fin 2019 via du financement participatif: 85.000 via la première campagne des packs et 100.000 suivant la formule du prêt Coup de Pouce de la Sowalfin, l’outil public wallon d’aide au financement des PME. Il s’agit d’un système qui vise à mobiliser l’épargne privée. Les prêteurs (maximum 125.000 euros par personne et 250.000 euros récoltés par emprunteur) bénéficient, en plus de différentes formules de remboursement avec intérêts, d’un crédit d’impôt de 4% pendant les quatre premières années et de 2,5% sur les suivantes.
« Ce sont surtout des amis, des copains et des voisins qui m’ont confié leur épargne à l’époque, conclut Vincent De Busscher. Avec la deuxième vague de vente de packs, j’espère lever entre 100.000 et 200.000 euros qui vont permettre de financer la plantation des six derniers hectares déjà en notre possession, d’étendre la cuverie et de compléter notre matériel, notamment au niveau de la protection contre le gel. Dans trois ans, j’espère pouvoir lancer la construction de notre chai. Ce n’est qu’à ce moment-là que je ferai appel aux banques et aux invests régionaux. »
La file devant le Spar
Le principe de la coopérative est vieux comme le monde dans la viticulture. Vin de Liège en est le champion belge avec 2.300 coopérateurs et 3,2 millions d’euros de capital. Pas mal pour un domaine de 16 hectares devenu très qualitatif. A Sirault, dans le Hainaut, l’expérience est plus modeste mais elle bénéficie d’un engouement sans précédent. Le Vignoble de Sirault compte trois hectares pour 11.000 pieds de vigne plantés. Il a démarré autour de 11 coopérateurs A. « Quand nous avons démarré la souscription pour les coopérateurs B, à raison de 500 euros la part et 10 parts maximum par personne, nous avons été surpris par son succès, confie Jean-Christophe Vanderelst, pharmacien du village et président de la coopérative. Il faut dire que les souscripteurs pouvaient bénéficier du tax shelter réservé à l’investissement dans les start-up. Ils sont 200 aujourd’hui dont l’extrême majorité habite Sirault. Cela nous a permis de lever 210.000 euros que nous avons complétés par une ligne de crédit de 140.000 euros de W.Alter de la SRIW. Il faut commencer à la rembourser progressivement au bout de cinq ans. »
Cette mise de départ a permis à la coopérative de se lancer, de planter les trois hectares couverts par des baux à ferme, d’acheter le matériel de viticulture et de vinification dont huit jarres en terre cuite et de con-clure un leasing immobilier pour le chai flambant neuf. 2.500 bouteilles ont été mises en vente en 2019, 3.000 l’an dernier. N’en cherchez pas, tout est parti! « C’est de la folie, explique Thierry Vangulick, journaliste et secrétaire de la coopérative. La première année, nous avons vendu 800 bouteilles sur une après-midi. Evidemment, nos coopérateurs sont prioritaires. Mais nous réservons 200 bouteilles au Spar du village. Il vend tout en deux jours et les gens font la file dehors pour avoir leur bouteille. Cela ira mieux quand nous arriverons à la production normale de 12.000 à 15.000 bouteilles. »