La viticulture en Wallonie, émergence d’un écosystème plus vaste
Depuis plusieurs années, de nouveaux métiers liés au développement de la viticulture wallonne émergent dans des domaines aussi variés que l’analyse oenologique, la tonnellerie mais aussi dans les cosmétiques qui utilisent notamment les polyphénols du raisin et du vin.
Les plus anciennes allusions aux propriétés médicamenteuses du vin remontent à quelques millénaires avant notre ère. « Aux yeux des Grecs, rappelle le Dr Maury dans son livre “Soignez-vous par le vin” (Ed. Universitaires, Paris, 1983), le vin, symbole de la pérennité du genre humain aide celui qui en use à se maintenir dans le sillon de la sagesse » quand il n’est pas assimilé à un « remède à l’austérité de la vieillesse ».
Plus sérieusement, il est démontré de longue date que les polyphénols, présents notamment dans la peau et les pépins du raisin à peau rouge mais aussi dans de nombreux fruits et légumes, protégeraient de certaines maladies grâce à leurs propriétés antioxydantes très importantes.
Les polyphénols sont classés en flavonoïdes (responsables de la couleur des fruits et légumes) ou non-flavonoïdes (acides phénoliques…). Le plus réputé est sans conteste le resvératrol.
Son nom viendrait du vérâtre blanc, une plante emblématique des alpages utilisée au Moyen âge pour empoisonner les gens, d’où il a été extrait pour la première fois en 1939. « La découverte du resvératrol dans la pellicule du raisin date de 1976, mais il a fallu attendre 16 ans pour qu’en 1992 Siemann et Creasy l’identifient finalement dans le vin » (source : bioactualites.ch).
A la même époque, le médecin et chercheur Michel de Lorgeril « montre qu’une consommation modérée de vin peut protéger de la maladie coronarienne » tandis que, l’année suivante, E.N. Franken « démontre que c’est le resvératrol du vin qui, en inhibant l’oxydation du LDL (le mauvais cholestérol), doit être responsable de son effet cardioprotecteur. »
La fameuse théorie du « paradoxe français » a trouvé là de quoi apporter de l’eau à son moulin… Les effets bénéfiques du vin feront alors l’objet de nombreuses recherches, dans un sens ou dans l’autre.
Vinothérapie
Quoiqu’il en soit, le resvératrol est présent dans les pépins, la peau et les queues des grains de raisin. Il a également été isolé dans les fruits frais et secs, et dans certains de ses dérivés, comme le jus de raisin et les vins où sa concentration dépend du cépage, les vins rouges ayant une teneur en resvératrol plus élevée que les vins blancs.
En 1995, dans les vignes du Château Smith Haut Lafitte à Bordeaux, grâce aux recherches menées par le Professeur Vercauteren, Mathilde Thomas combine resvératrol et acide hyaluronique et lance Caudalie, « la première marque à proposer en cosmétique des polyphénols de pépins de raisin stabilisés ».
En effet, peut-on lire sur le site Top Santé, « s’il est un domaine où la vigne peut être “consommée” sans modération, c’est bien en beauté. En plus d’être anti-âge, elle préserve l’hydratation, l’éclat de la peau et prévient les taches pigmentaires. On doit multiples bienfaits à différents actifs naturels cachés au cœur du raisin ».
Ce premier produit sera suivi d’une vaste gamme de cosmétiques et d’un programme de soins en « vinothérapie » (un terme déposé) pratiqués dans les spas de la marque Caudalie, notamment.
D’autres laboratoires se lancent dans le créneau, comme « L’Or de Vie » de Dior à base de marc de raisin de Château d’Yquem, ou « Vinésime » en Bourgogne qui combine les polyphénols antioxydants de Pinot noir et l’extrait de bourgeon de cassis pour réoxygéner et régénérer les cellules de la peau. Tout un programme.
Et en Belgique
D’autres initiatives voient le jour, comme celle d’Anne-Sophie Charle à Quévy en décembre dernier après deux années de recherche.
Haute fonctionnaire à Mons pendant une vingtaine d’années, celle-ci décide il y a deux ans de changer de cap et de développer une gamme de cosmétiques en récupérant les résidus du vignoble. Epouse de Hubert Ewbank, grand patron du Domaine du Chant d’Eole, elle trouve aisément la matière première…
Convaincue que la vigne recèle des molécules non encore exploitées et désireuse d’identifier « LE » polyphénol anti-oxydant jamais exploité dans le secteur, Anne-Sophie Charle a relevé un maximum d’échantillons issus du vignoble ou du processus de vinification (craie du sol, sarments, pépins de raisins, lies, précipitations tartriques dans les cuves, ferments de tirage, etc.) et en a confié l’analyse à deux centres de recherche en Wallonie capables d’extraire les molécules du tanin végétal: le Celabor à Herve, qui a un département d’extraction agro-alimentaire et le CeREF, département biochimiste de la Haute Ecole Louvain en Hainaut, chargés tous deux de traduire les résultats en « applicatif cosmétique ».
« J’ai activé les chèques technologiques de la Région wallonne, confiait-elle en décembre lors de sa conférence de presse de lancement, pour pouvoir financer ces contrats de recherche, qui ont démarré tout de suite et qui sont toujours en cours.
Enfin, pour « formuler » tout cela, càd mettre tous ces ingrédients dans une recette, j’ai fait appel à Copaïba à Spa, un laboratoire belge référent pour l’élaboration de soins naturels. Les équipes ont réussi à trouver dans les sarments une molécule, un polyphénol à 3 cycles, excessivement innovant qui, à notre connaissance, jamais été utilisé dans les cosmétiques européens : il est antioxydant, travaille sur le collagène de la peau et lutte contre le stress oxydatif, contre l’inflammation de la peau.
Cela me permet de développer un concept inédit qui s’appelle Wine Extract3 qui a donné naissance à une gamme certifiée naturelle et même vegan, puisque aucun produit d’origine animale n’est utilisé. » (Plus de détails sur maison-eole.com)
D’autres emplois également
Cette créativité wallonne se retrouve également dans d’autres domaines en lien avec la viticulture où certains services connaissent un développement important.
Mentionnons par exemple les services d’analyse de sols dans les différentes provinces, comme le Centre provincial de Formation à l’Agriculture et à la Ruralité à Waremme ou le CPAR à La Hulpe, ou les laboratoires de ULiège à Gembloux et de l’UCLouvain à Louvain-la-Neuve et à Bastogne.
Au chapitre des nouveautés, notons aussi le lancement de Barwal par Didier Mattivi et Hugues de Pra en septembre 2020 qui, en partenariat avec la Tonnellerie de Champagne, fabrique des fûts de chêne provenant des forêts wallonnes. Leur ambition: construire une tonnellerie d’ici peu en province de Namur.
Un nouveau laboratoire d’analyses des vins, AOC Vallée mosane, a également créé à Andenne par Michel d’Harveng et Véronique Lidby en collaboration avec la Société Horticole et Viticole de Huy.
Enfin, à Ath, le CARAH propose un service de recherche et de soutien à la profession, tandis que les centres de l’IFAPME à Perwez et à Villers-le-Bouillet ont mis en place une formation de chef d’entreprise viti-vinicole et, depuis septembre 2020, une nouvelle formation d’ouvrier viticole. Près de 100 personnes sont engagées dans ces filières, elles sont l’avenir de la viticulture wallonne !
Marc Vanel
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